Valentine Racine écrit des nouvelles
et des textes nés de ses observations sur ce qui l'entoure et à
partir des situations dont elle est témoin. Invitée à la
Cartonnerie, il s'agit pour elle d'observer Saint Etienne comme vaste
terrain de jeu et de donner son regard sur ce que livre la ville et
ses habitants à une étrangère.
"Ici j'ai vu comme deux
faces de la même médaille. La ville a son visage sombre, terni par
le passé avec bâtiments à l'abandon, pans de murs rongés par la
pelle mécanique, interstices parsemenés de détritus, façades
empoussiérées et bancales. Les fils électriques pendent comme
autant de fils à retordre la vie. L'autre profil est plus enviable.
Aménagements urbains audacieux pour une ville cobaye amenée à
expérimenter toutes les innovations. Couleurs vives et formes
incongrues marquent les nouveaux champs de vision. Hier exclue de la
dynamique nationale, la ville devient désormais vaste terrain de
jeux pour ceux qui cherchent à réinventer le monde.
J'arpente la ville et ses
stigmates. Traces d'un passé industriel qui se souviennent d'une
économie florissante qui n'a pourtant enrichie que certains. Je ne
peux m'empêcher d'aller vers l'autre versant de cette même
histoire, celle des exilés de tout bord. La ville les a accueillis
dans son sein pour exploiter le ventre de la terre et manier le feu
d'où accoucheront des armes, fierté de la belle époque. Les
enfants de ceux-ci sont nés, puis les enfants de leurs enfants.
D'autres arriveront plus tard, d'autres pays, plus loin. Avec eux
tous, on peut faire le tour du monde.
Ici semble régner une
loufoquerie joyeuse et simple. Les anars font du clown, les
ascenseurs ont déménagé dans la rue, les squares ont des transats
en bois (à quand les hamacs ?) et au marché on achète presque à
l'unité des pastilles pour lave-vaisselle. Les noms de quartier
portent à sourire : le portail rouge, le soleil qu'on aimerait
quotidien, le clapier sans lapin, la belle vue, sa terrasse et ses
beaux bruns.
Je croise une multitude
de visages inconnus au regard franc, à la fraternité chevillée au
coeur. Ici les rues, les bistrots témoignent de cette Franche
amitié que la citée porte en
bandoulière. Pour l'étrangère les visages accueillent,
questionnent, guident avec une bienveillance bonhomme. Emplie de
gratitude, elle s'émeut de cette générosité qui décuple
l'espoir. Ici les funérailles sont solidaires, le pain dur laissé
sur les rebords de fenêtres et les restes du plat devant la porte.
Dans ce pays, on n'oublie personne, même pas les bêtes."
Saint-Étienne, août 2013
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