Extrait
du récit :
"
Mercredi 7 mai. Il est 9h00. Nous retrouvons le petit groupe de
marcheurs au bord de la place Jacquard : Nous sommes une
dizaine : des membres de l'équipe Carton Plein, des artistes – le Collectif X,
La Louce, la Galerie Rue des Artistes..
mais aussi des chercheurs - Pascale Pichon, professeure de sociologie
à l'Université Jean Monnet et chercheure au centre Max Weber,
Morane Chavanon, doctorante
en sciences politiques à l’Université Lyon 2.
La
ville est déjà en activité. Le marché de la place bat son plein.
L'idée
pour cette marche, parce qu'il y en avait une avant de partir, était
d'embarquer tout le monde à travers la ville en s'intéressant aux
traces de la diversité culturelle sur l'espace urbain, en se
focalisant notamment sur les façades et les boutiques (souvent
vides) des rues traversés. Comment les traces peuvent parler de
l'identité de la ville ? Comment peut-on approcher la diversité
culturelle, passée et présente, à travers ce prisme ? Des
prismes il y en a des centaines, mais c'est sur celui-ci (les façades
et boutiques des rues) que nous avons décidé de faire voyager tout
le monde pour ce premier rendez-vous dans la ville.
Nous avons tracé un itinéraire qui nous semblait propice aux discussions. Que voyons nous ? Quelles traces sont encore présentes ? Que nous disent-elles ? Nous disent-elles d'ailleurs quelque chose ? Qu'entend on par diversité culturelle ? Les traces sur l'espace vont-elles nous aider à en donner une définition collective ? Un itinéraire est tracé mais chacun est libre de nous embarqué où bon lui semble.
Nous
partons en marche en laissant derrière nous le marché. Quatre fois
par semaine, le marché Jacquard transforme
la place, souvent déserte le reste du temps. Les gens affluent de
toute la ville pour venir contempler les nombreuses étales de
produits provenant de différents horizons à des prix défiant toute
concurrence. Véritable poumon de la ville, c'est un rassemblement
culturel extraordinaire. Les
gens se croisent, certains se parlent, d'autres crient.
Bouillonnement de langues et de langages.
Nous
nous dirigeons dans la rue Jules Ledin, rue liant le centre et la
ceinture urbaine de la ville. La rue est déserte. Le contraste avec
la vitalité de la place du marché est fort. La rue est parsemée de
boutiques abandonnées...sur ses quelques 300 mètres de longueur on
trouve plus d'une dizaine de vitrines salies par la poussières,
obstruées par des grandes planches en bois. Il n'y a plus
rien...enfin, si, il reste une boulangerie et une épicerie de
producteurs, fermées ce jour là mais qui drainent pourtant de
nombreux clients les mardi et vendredi, redonnant vie à la rue...
Encore plus loin un bar - bureau de tabac, lieu de croisement et de
rencontre pour les jeunes hommes, qui s'installent parfois sur des
chaises au croisement, et interpellent les automobilistes qu'ils
connaissent.
On devine d'autres activités mais rien n'en indique la nature.
La
rue offre une qualité paysagère intéressante. D'un côté une
percée visuelle sur la ceinture de la ville, de l'autre une vue sur
la rue voisine, contrastant par son activité. La
rue est déserte, vide, aride. Nous marchons lentement, scrutant les
façades à la recherche d'indices sur l'activité passée. Il reste
des traces. De vieilles enseignes. On imagine la vitalité de la rue
à l'époque où tout était ouvert, où les usagers empruntaient la
rue, poussaient les portes, discutaient sur le bord du trottoir des
sacs de marchandises plein les mains.
Nous
rencontrons Eugène, figure du quartier. Eugène a 80 ans, il est né
ici, le connait comme sa poche. Il commence à nous montrer qu'« ici
avant il y avait ça », qu'au coin de la rue il y avait un
libraire, Monsieur Dubouchet. Il connaissait bien Monsieur Dubouchet,
« c'était un ami des beaux parents de ma fille ». Et
puis au n°20 on pouvait acheter des chapeaux. En face, c'était des
œufs et du beurre. « Et puis là bas, vous voyez là bas,
c'était chez Creuset. Creuset c'était le boulanger ». Il
était voisin du charcutier et du fromager...
Les
artistes de La Louce et de la Galerie Rue des Artistes ont déjà
capté Eugène pour leur projet. Il fera l'objet d'un film présenté lors des Journées du
patrimoine...
La
rue est presque déserte aujourd'hui mais les rencontres et
discussions sont riches. Ce n'est pas la nostalgie du passé qui nous
empare mais la volonté de comprendre ce qu'il s'est passé et où se
trouve la vitalité de la ville, parfois fuyante...
Ici
et là des immeubles sont rachetés par l'EPASE pour réhabiliter et
redonner de l'attractivité au quartier... Dans le prolongement, la rue Paul Bert et le local de la galerie des artistes très active qui doit trouver un autre local. Comment pénétrer le projet urbain en cours et travaille sur le processus pour créer des synergies et ne pas casser les dynamiques déjà là ? Comment s'ppuyer sur les acteurs pour penser l’attractivité du quartier ?
En marchant, on prend conscience de l'espace.. Comment s'est construite la vie culturelle de quartier ? Pourquoi il n'y a plus rien ? Enfin, qu'en reste-t-il ? Qu'en est-il du foncier ? Et l'habitat ? Comment redonner vie aux vitrines cassées, aux boutiques fermées? A qui appartiennent elles ? Et si on intervenait sur la rue pour lui redonner un peu de vitalité même de manière éphémère ? Et si on rouvrait les boutiques ? Et si on décorait les fenêtres ? Et si on repeignait les boutiques vides ? Et si on invitait les habitants à y prendre part ? Et si on inventait un outil commun ou un événement pour faire parler de la diversité du lieu et de ses habitants ?...
En marchant, on prend conscience de l'espace.. Comment s'est construite la vie culturelle de quartier ? Pourquoi il n'y a plus rien ? Enfin, qu'en reste-t-il ? Qu'en est-il du foncier ? Et l'habitat ? Comment redonner vie aux vitrines cassées, aux boutiques fermées? A qui appartiennent elles ? Et si on intervenait sur la rue pour lui redonner un peu de vitalité même de manière éphémère ? Et si on rouvrait les boutiques ? Et si on décorait les fenêtres ? Et si on repeignait les boutiques vides ? Et si on invitait les habitants à y prendre part ? Et si on inventait un outil commun ou un événement pour faire parler de la diversité du lieu et de ses habitants ?...
Nous poursuivons la marche...
Chaque
mois nous en proposerons une. Nous consoliderons le groupe, ferons
des invitations, proposerons des protocoles nouveaux, et
constituerons ainsi un groupe de marcheur enquêteurs,
d'acteurs-chercheurs, pour amener de la réflexivité sur nos
pratiques et construire collectivement un événement.
"Jouissance
du temps, des lieux, la marche est une dérobade, un pied de nez à
la modernité. Elle est un chemin de traverse dans le rythme effréné
de nos vies, une manière propice de prendre de la distance et
d'affûter nos sens."
Éloge
de la marche, David Lebreton, Métaillié
essais 2000
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