10 juin 2014

Virée Nantaise : la fabrique de la ville en expérimentation

Nous avons été invités par l'association Ile-PAD à Nantes à intervenir à un bistro débat sur le thème : la place de l'usage dans la fabrique de la ville : garant du « mieux vivre » ?
 
À Nantes, nous arrivons au coeur d'un projet d'aménagement urbain d'envergure, sur l'ancienne île industrielle, dont l'opérateur est la SAMOA, une société d'économie mixte créée par Nantes métropole comme outil d'aménagement. Nantes à développé un ambitieux projet depuis les années 80 qui met au cœur la culture et la créativité pour renouveler la ville : après l'usine LU, de nombreux projets autour de l'estuaire de la Loire jusqu'à Saint-Nazaire (voyage à Nantes, la biennale d'art contemporain...), et puis les machines créées par certains membres fondateurs de royal de luxe qui sont devenus le point d'attractivité)… Sur l'ile de Nantes c'est l’urbaniste Chemetoff, bien connu à Saint-Etienne (pour travailler sur le quartier créatif Manufacture/ Plaine Achille), qui a conçu le plan guide, avec un cadre libre pour favoriser l'expressivité des promoteurs et des constructeurs. Méthodologie reproduite à Saint-Etienne avec moins de succès, puisque les investisseurs ne sont pas aussi présents et n'ont pas les mêmes moyens...

Au bout de cette île, à deux pas de l'éléphant de royal de luxe, un nouveau morceau de ville va sortir de terre... l'association île-PAD s'est montée pour représenter et défendre l'intégration d’une maitrise d'usage au sein de ce projet. En effet, une partie des nombreux co-workers de la rue des olivettes toute proche, avec scopic (une entreprise de communication) en tête de ligne, a décidé d'emménager sur ce nouveau quartier et travaille en complicité avec le promoteur désireux de réinventer des nouvelles formes d'habitats plus adaptés aux usagers.

Cette maitrise d'usage constituée des futurs travailleurs - mais possiblement enrichie des habitants du quartier au fil de leur accession à la propriété - réfléchit à la programmation, l'affine, et travaille au requalibrage du projet avec la SAMOA et les architectes. Le montage particulier permet en effet aux acteurs d'être quasi dans l'autopromotion et de choisir leurs futurs espaces de vie et de travail. Le programme global comprend aussi une partie pour les personnes plus âgées qui rompt avec le modèle de l'établissement fermé (type EPAHD) encore malheureusement majoritaire.

La maitrise d'usage participe aussi à la recherche d'investisseurs, et de futurs occupants. Elle développe autour de ce projet une mission de recherche (financée par la région et la métropole) pour documenter cette expérimentation peu habituelle. C'est dans ce cadre aussi que le bistro-débat a été initié dans l'idée de donner du grain à moudre au projet et d'introduire de la réflexivité au fil du processus. L'ile PAD s'attache à défendre la conception de surfaces « habitées » et non plus « habitables », vocabulaire habituel des promoteurs. Le programme de construction est mixte: 50% entreprises, 50% habitants; soit 500 habitants et 500 travailleurs sur 15000m2. L'île-pad porte l'idée d'introduire dans le projet la création d'une conciergerie dont ils viennent de définir le modèle économique mais aussi d'autres types d'espaces partagés. Il réalisent un travail de médiation avec les architectes, la SAMOA et organisent une série de workshops, en utilisant les compétences de designers spécialisés dans l'ESS, et d'autres compétences croisées. Ils travaillent beaucoup sur la notion « donnant donnant »: chaque workshop enrichit chacun des protagonistes; chacun apporte/ échange ses savoirs et compétences mais repart enrichi de nouveaux outils ... Ces nouvelles méthodologies ont d'ailleurs bouleversé et réorienté la pratique de SCOPIC qui souhaite placer la maitrise d'usage le cœur de leur activité. Cette part de travail représente déjà deux salariés - nos 2 interlocuteurs - Antoine et Lise Marie.

///////////  Déroulé de cette journée Nantaise :

Antoine nous accueille à la gare avec Pierre Chapignac, Montpelliérain et auteur de « zones mutantes », webzine consacré aux dynamiques socioéconomiques territoriales qui animera en soirée notre rencontre.

Nous partons arpenter l'île de Nantes... On passe devant l'usine Lu - que nous avions visité, lors de l'exposition consacrée à Lucien et Simone KROLL, proposée par Patrick Bouchain et activée par le collectif etc qui avait créé à l'intérieur un appartement mouvant. Nous poursuivons sur l'île, dans ce vaste quartier composé de ruelles et de nouveaux bâtiments.
Au cœur d'un quartier ancien, un ilot entier a été réhabilité en conservant l'échelle existante. Nous sommes surpris par la vitalité qui anime les ruelles de ce quartier cousu sur l'existant intégrant bâtiments en bois de faible hauteur. La promenade, malgré le crachin quasi breton, est fort agréable. On passe ensuite par la rue des olivettes, envahie de projets collectifs, d'espaces de coworking, devenue l'artère névralgique de ces nouvelles formes d'activités créatives encouragées par la ville et le projet urbain. L'impulsion lancée, les initiatives foisonnent. De nombreux immigrés parisiens viennent rejoindre la dynamique... l'attractivité est ici plus que palpable.


Ensuite nous continuons vers un espace tout à fait surprenant « AIRE38 » mis en place par l'association « Les badauds associés » dont le responsable Gaëtan nous explique l'origine, le concept, le modèle et plein d'autres choses encore, dans un flux de parole tout a fait vivifiant ! Celui ci vient du milieu des ONG avec un parcours atypique dans les arts de la rue, l'éducation populaire, la recherche, avec un fort attachement à la recherche/action comme moteur à l'action. Le projet créé en 2011, se développe dans et autour d'une friche industrielle vouée à être détruire. 6500 m2 de test en situation réelle, avec différents pôles : structure d'insertion, studio 360 web media / dialogue territorial, « le village bêta »...
Nous entrons dans le premier entrepôt très clean, sur la « place des caravanes qui rêvent ». Une série de caravanes - modules d'intervention dans l'espace public - sont fabriquées à base de récupération. La médiathèque, la ludothèque, la scène, la caravane bar bateau... sont autant de dispositifs pour faire de la médiation sociale dans l'espace public.

Plus loin, la place des mobilités : tentative Zen en espace hostile. Les noms retiennent notre attention : créer des dénominations poétiques. « Paysage en chantier », dans un « territoire mutant ». Situé entre un camp de roms, le parking du CHU bientôt reconstruit et un quartier d'habitat ancien, ce lieu se revendique comme un lieu d'expérimentation et de test, un carrefour éphémère qui impulse du dialogue et des synergies entre acteurs.



AIRE 38 est voué a être reconstruit échéance mai 2016. Le projet est mouvant et peut se réinstaller ailleurs au gré des opportunités. Ses occupants cherchent à semer des modes de coopération qui les dépasseront. Ils accordent de l'importance à ne pas être là éternellement même si en fin de compte les aménageurs sont sensibles au rôle joué au cœur des espaces en transformation et étendent les temps d'accueil. Pour eux l'« animateur met sous tension l'intelligence collective ». Il existe une déconnexion importantes entre politique et ville, ce qui génère des tensions fortes.
 La recherche action porte sur la circulation de l'information dans le projet urbain et sur l'intelligence territoriale à travers l'action collective. Le lieu porte une réflexion sur la fonction des imaginaires : comment partager des imaginaires pour aller vers une vision commune et construire l'intelligence territoriale ? La coopération est complexe, « il faut du temps pour expérimenter, et on apprend en faisant. » Pour lui, c'est l'art qui permet de travailler les imaginaires.
Le jeu est un de leur mode  d'action. Il nous présente un jeu de toucher qui part de la description d'objet à partir des sensations et qui permet de créer des langages communs pour par exemple, aider une entreprise à construire ses datas informatiques.
Une part importante du projet est dédiée à une activité d'insertion. Plus qu'un moyen de subsistance c'est un vrai projet qui intègre 15 salariés 7 services civiques. Ils travaillent notamment sur la fabrication à base de déchets... tout doit être opérationnel et en open sources... Nous allons donc regarder de plus près comment ça marche ! 

Cette rencontre nous questionne en retour : Quelle réflexivité sur la pratique ? Quelles formes d'allers/retours entre recherche et expérimentation ? Comment redonner du sens aux actions en travaillant l'empowerment ?


 Nous poursuivons la marche et trouvons en chemin "La Nizanerie" mise en place par le collectif FIL, un collectif pluridisciplinaire composé d'une douzaine d'architectes, d'urbanistes, designers... La Nizanerie est installée sur un espace public temporaire, cogéré par les habitants, au cœur du projet urbain géré par la SAMOA. L'association a fait le choix de construire un kiosque pour faire se rencontrer les gens, préfigurer l'espace public en devenir (une rue piétonne) mais aussi prendre de la hauteur. Ce dispositif est pensé pour faire appel et sert à faire remonter la parole habitante vers les décideurs (qui manquent d’outils pour le faire).
Le collectif met en place des outils d'analyse sensible des espaces publics, comme la méthode des itinéraires Jean-Yves Petiteau, collaborateur associé au projet.
Un projet immobilier étant prévu sur la parcelle, se pose la question de la suite du projet. Le collectif Fil ne veut pas bloquer le projet urbain (et reconnait la nécessité de densification) s'interroge sur la pérennisation de cette dynamique amorcée. Ils souhaiteraient en faire un véritable atout pour le projet urbain. Pour cela, le collectif a imaginé intégrer le rez de chaussée du nouveau bâtiment qui prendra place et concevoir avec les habitants une sorte de cahier des charges : un lieu ouvert 24 sur 24, pas d’adhésions, attention à l'institutionnalisation...
Aujourd'hui le lieu est triple : c'est un lieu d’expérimentation (où tout le monde met la main à la pâte), un lieu ressource entre personnes et structures, un lieu relai entre habitants et concepteurs.
FIL réfléchit à la mise en place des conditions d'un vrai dialogue entre tous ces acteurs potentiels du projet urbain. Cet équilibre construit au fil du temps reste fragile : ils devaient être relogés après la reconstruction de la parcelle mais la Samoa vient de changer d'avis.
Nous arrivons à notre destination finale, le lieu du débat sur l'usage comme levier des transformations urbaines.

"* Maîtrise d’usage ?
À l’interface entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’oeuvre, la maîtrise d’usage se présente comme le
troisième acteur du projet urbain : c’est l’expertise habitante au service du projet. De cette énergie
rassemblée, de ces expertises d’usage de la ville naissent de nouvelles propositions qui modifient le projet.
La construction prend ainsi un nouveau visage, celui de l’utilisateur, du futur habitant. Facilitatrice, fédératrice, médiatrice, la maîtrise d’usage accompagne les citoyens dans cette démarche d’appropriation et dans ce processus de co-construction collective. Il s’agit d’une démarche devenue
aujourd’hui indispensable pour tenir compte de la complexité des usages et faire évoluer nos façons de penser et de fabriquer la ville."

  
Ce que nous retenons : l'usage est à la mode ! Il existe des enjeux multiformes autour des usages : les révéler, en faire prendre conscience et les faire prendre en charge dans les projets urbains. Il est encore difficile de faire valoir la prise en compte des usages dans des processus d'aménagement urbains installés et rigides.... Comment mesure t on l'importance de ce type de démarche ? le système est aujourd’hui très centré sur des notions quantitatives (la culture de l'ingénieur), là ou l'usage peut amener de la complexité, du qualitatif, du processus. L'usage et le contexte comme matière à projet et levier de l'action pour ne pas être dans la construction copier coller, dans des processus sur-mesure. 

L'usager demande de s'intéresser à l’évolution des modes de vie, regarder de près ceux qui sont là. 
De nombreuses questions restent en suspens que nous vous livrons ici en vrac...
Faut il vraiment anticiper et maitriser les usages ? Prise en compte des usages élimine t elle la prise en compte de l'opinion des citoyens ?
Comment passer de l’expérimentation dans des lieux comme ici très favorables, à un vrai passage à l’échelle ? Comment créer des solidarités entre les territoires, comment échanger les expériences, comment faire bouger les cadres, penser les processus de collaboration, les documenter ?.... comment rompre les frontières entre professions ou statuts (habitants, citoyen, architecte élu) et créer un vocabulaire et des valeurs communes ? cela passe par de la méthodologie de projet ?
Faut il vraiment rajouter des normes et la contrainte supplémentaire d'une maitrise d'usage ou au contraire, penser des nouveaux modes de fabrication de la ville plus ouverts pour un urbanisme collaboratifs ? Quelles complémentarités ?
 Ce débat nous a permis de faire des rencontres : notamment la SAMOA et ses modes d'action un peu différents de ceux de l'EPASE.  Ils mettent en place par exemple une équipe de 10 personnes impliquées pour activer territoire (accompagnement de l'installation de nouvelles entreprises, porteurs de projets, développement économique, veille, animation d'un espace de coworking…). Cet équipe est regroupée dans un espace équivalent au mixeur de Saint-Étienne (où les partenariats sont plus flous et les moyens plus faibles).
Nous avons rencontré le collectif Fertile : occupation pirate d'un délaissé. Mode opératoire : le chantier comme un évènement. Il réalisent des machines mobiles avec asso vélo. Tous travaillent en agence et consacrent 5% de leur temps à cette activité, nous sommes dans des préoccupations différents. 

Coup de cœur pour Frédéric Barbe, géographe, auteur, beugleur et chanteur, qui travaille sur une collection (sous licence libre) de guides indigènes de (dé)tourisme. Après avoir testé ce dispositif à Nantes, il renouvelle l'expérience à Rive de Gier, dans le cadre d’une recherche du PUCA. Nous sommes ravies de le retrouver sur nos terres stéphanoises !

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